Apple menace de nous priver de ses merveilles (pour notre bien, bien sûr)

Sortez les mouchoirs, préparez les bougies pour une veillée. Une tragédie se noue dans le monde merveilleux de la technologie. Notre bienfaiteur à tous, la société la plus altruiste de la Silicon Valley, Apple, est au bord du gouffre. Dans un cri du cœur, une lettre poignante adressée à la méchante Commission Européenne, la firme de Cupertino a laissé entendre que le pire pourrait arriver. Nous, pauvres Européens, pourrions être privés de certains de leurs produits et services. Le monde retient son souffle. La cause de ce drame shakespearien ? Une obscure et tyrannique loi appelée le Digital Markets Act (DMA).

Pour ceux qui auraient vécu dans une grotte ces trois dernières années, le DMA est cette tentative grossière de Bruxelles de mettre un peu d'ordre dans la jungle numérique. L'idée, aussi naïve que dangereuse, est d'empêcher les géants de la tech, les fameux “gatekeepers”, d'abuser de leur position dominante pour écraser toute concurrence. Une hérésie, vous en conviendrez. Comment ose-t-on s'attaquer à un modèle si parfait, si harmonieux ?

Car c'est bien là le cœur du problème. Apple, dans sa grande sagesse, nous explique que cette législation est une catastrophe. Non seulement elle dégrade “l'expérience utilisateur” (ce concept sacré que seul la marque à la pomme maîtrise), mais en plus, tenez-vous bien, elle nous expose à de terribles risques de sécurité. En forçant l'interopérabilité, l'Europe brise la pureté de l'écosystème Apple, ce jardin d'Éden numérique où tout fonctionne de manière si fluide et magique. Ouvrir les portes de ce paradis, c'est y laisser entrer le chaos, le désordre, et probablement des virus conçus par des concurrents jaloux.

La preuve de cette apocalypse annoncée ? La marque américaine a déjà dû prendre des décisions déchirantes. La traduction en direct via les AirPods ou la duplication de l'écran de l'iPhone sur un ordinateur portable, des innovations qui allaient changer nos vies à jamais, ont été retardées sur le sol européen. Pourquoi ? À cause de cette exigence absurde de compatibilité avec des produits qui n'ont pas la pomme sacrée gravée sur leur châssis. Imaginez le supplice, des écouteurs d'une autre marque pourraient fonctionner avec un iPhone ! Selon Apple, cela créerait un problème de confidentialité car des rivaux pourraient accéder aux données de nos conversations. Ah, la vie privée, ce bouclier rhétorique si pratique quand il s'agit de protéger sa forteresse dorée.

Et le pire est à venir. Cupertino nous prévient:

“La liste des fonctionnalités retardées dans l'UE va probablement s'allonger et l'expérience de nos utilisateurs dans la région sur nos produits sera encore plus à la traîne”.

Un chantage ? Non, une simple mise en garde bienveillante. Ils menacent même, à demi-mot, que si le DMA avait existé il y a dix ans, l'Apple Watch n'aurait peut-être jamais vu le jour chez nous. Frissons d'horreur. Pensez à toutes ces vies qui n'auraient pas été sauvées par le capteur de fréquence cardiaque ! Le comble de l'injustice, c'est que cette réglementation ne s'appliquerait pas à Samsung, le plus grand vendeur de smartphones en Europe. Pauvre Apple, cette petite start-up californienne de 3 000 milliards de dollars, victime d'une concurrence déloyale orchestrée par Bruxelles. C'en est presque touchant de vulnérabilité.

Et quand les arguments techniques ne suffisent plus, que reste-t-il ? La panique morale, bien sûr ! PENSEZ AUX ENFANTS ! Apple, dans un élan de vertu, nous alerte:

“À cause de l'ouverture forcée de l'écosystème, des applications pornographiques sont disponibles sur iPhone depuis d'autres places de marché. Des applications que nous n'avons jamais autorisées sur l'App Store en raison des risques qu'elles créent, en particulier pour les enfants.”

On appréciera cette soudaine pudeur de la part d'une entreprise dont les appareils permettent d'accéder à l'intégralité d'Internet. Le problème n'est évidemment pas la pornographie, mais les boutiques d'applications sur lesquelles Apple ne peut prélever sa dîme de 30 %. Ce combat titanesque a même attiré l'attention de Donald Trump, qui, dans sa finesse habituelle, a menacé de représailles les pays qui “attaquent nos incroyables entreprises technologiques américaines”. Quand on a ce genre de soutien, on sait qu'on est du bon côté de l'histoire.

La conclusion d'Apple est sans appel, le DMA doit être abrogé ou, au minimum, remplacé par une loi plus appropriée. Une loi qui, on le devine, reconnaîtrait qu'innover, c'est avant tout verrouiller les utilisateurs dans un écosystème fermé pour maximiser les profits. Le reste n'est que littérature. Alors, tremblons, Européens. Car si nous continuons à vouloir du choix, de la concurrence et de l'interopérabilité, Apple pourrait bien nous punir en nous laissant patauger dans notre médiocrité technologique, orphelins de ses futures merveilles. Merci, de vous soucier autant de nous. Votre combat pour un monde moins ouvert, moins interopérable mais plus rentable est une véritable source d'inspiration.

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