Foxconn enterre sa période iPhone et devient un pilier mondial de l’intelligence artificielle
Le symbole est fort, pour la première fois de son histoire, Foxconn, longtemps considéré comme « l’usine d’Apple », génère davantage de revenus grâce à ses activités liées au cloud et aux serveurs d’intelligence artificielle qu’avec l’assemblage de l’iPhone. Ce basculement marque une rupture dans l’évolution du géant taïwanais et, plus largement, dans l’histoire de l’industrie technologique mondiale.
La division « Cloud & Networking Products » de Foxconn a enregistré une progression spectaculaire de 47 % de son chiffre d’affaires au deuxième trimestre 2025, atteignant 731,8 milliards de dollars taïwanais. À titre de comparaison, la division « Smart Consumer Electronics », qui inclut l’activité emblématique de l’assemblage des iPhone, a généré 634,5 milliards dans la même devise. Pour la première fois, le smartphone de Cupertino n’est donc plus le principal moteur économique du fabricant asiatique.
Derrière cette bascule se cache un secteur en plein essor, les serveurs dédiés à l’intelligence artificielle. Plus de la moitié des revenus cloud de Foxconn proviennent désormais de cette activité. Au deuxième trimestre, les ventes de serveurs dédiés ont progressé de plus de 60 %. Et la dynamique s’accélère, la société table sur une croissance annuelle de 170 % au troisième trimestre, portée par la demande des grands acteurs du cloud, dits « hyperscale ».
« Foxconn est passée de son activité historique d’assemblage de smartphones et d’ordinateurs à un rôle central dans la fourniture de serveurs IA, tout en s’ouvrant à de nouveaux secteurs comme les véhicules électriques et la robotique humanoïde », écrivent les analystes Jiong Shao, Lian Xiu Duan et Xinyao Song dans une note adressée aux investisseurs.
Cette diversification illustre une réalité nouvelle, Apple, client historique et longtemps incontournable, n’est plus la clé de voûte de l’entreprise taïwanaise. Désormais, elle cherche à capter la croissance là où elle se trouve, dans l’infrastructure numérique qui alimente l’intelligence artificielle.
Ce virage stratégique représente un changement profond dans les relations de dépendance qui structuraient jusqu’ici l’industrie électronique. Pendant plus d’une décennie, Foxconn a vécu au rythme des lancements de l’iPhone. Ses immenses usines en Chine, employant des centaines de milliers d’ouvriers, symbolisaient la mondialisation industrielle et la domination d’Apple sur le marché du mobile. Mais le ralentissement du marché, conjugué à l’explosion de la demande en puissance de calcul pour l’intelligence artificielle, a rebattu les cartes. Foxconn ne se contente plus de répondre aux commandes de Cupertino, elle s’impose désormais comme un acteur stratégique de l’IA, collaborant avec des partenaires tels que Nvidia pour concevoir les serveurs de nouvelle génération et intégrer des solutions robotiques. L’entreprise a également renforcé sa position sur des segments spécialisés, comme les serveurs équipés de puces ASIC, optimisés pour les calculs de cette technologie.
Foxconn accompagne ce repositionnement par une expansion géographique réfléchie. Pour limiter les risques liés aux tensions géopolitiques et aux barrières douanières, le groupe développe sa production de serveurs aux États-Unis. Des sites existent déjà au Texas et au Wisconsin, tandis que de nouvelles implantations sont prévues en Californie et dans l’Ohio. Le Mexique, qui reste une base importante, conserve son rôle, mais la montée en puissance des sites nord-américains traduit une volonté évidente, s’ancrer davantage auprès des grands clients américains du cloud. Cette stratégie lui permet de sécuriser son approvisionnement et de se rapprocher des acteurs majeurs du secteur, tout en affichant une image de partenaire fiable dans un contexte de tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis.
Au-delà des serveurs IA, Foxconn multiplie les incursions dans de nouveaux marchés technologiques. L’entreprise mise sur les véhicules électriques, secteur encore en construction mais porteur d’immenses perspectives, ainsi que sur la robotique médicale et les semi-conducteurs. Ces initiatives témoignent d’une volonté d’élargir le portefeuille d’activités pour ne pas dépendre d’un seul secteur, comme ce fut le cas à l’époque de l’iPhone. Pour autant, c’est bien le marché des serveurs IA qui concentre aujourd’hui l’attention. Cette activité représente déjà 41 % du chiffre d’affaires total du fabricant et devrait croître de plus de 70 % sur l’ensemble de l’année fiscale. En comparaison, les perspectives pour la division électronique grand public restent stagnantes, aucune croissance n’est attendue pour l’activité dominée par l’iPhone.
Cette transition dépasse le cadre d’une seule entreprise. Le centre de gravité de l’industrie tech se déplace des terminaux visibles (smartphones et ordinateurs) vers les infrastructures invisibles mais essentielles, celles qui alimentent les modèles d’IA, le cloud et l’automatisation. L’histoire retiendra sans doute que l’année 2025 aura marqué ce changement: Foxconn, jadis simple sous-traitant pour Apple, est devenu un acteur clé du nouvel ordre numérique. Un acteur qui ne se contente plus d’assembler des produits pour d’autres, mais qui construit l’ossature même de l’intelligence artificielle mondiale. Dans ce contexte, l’iPhone, autrefois symbole de modernité et de puissance industrielle, apparaît presque comme un vestige d’une époque révolue. Foxconn, lui, regarde désormais vers l’avenir, et cet avenir s’écrit en langage machine.