Google contre les médias – La guerre pour l'avenir de l'information est déclarée

La tension qui couvait depuis des mois entre les éditeurs en ligne et Google au sujet de la montée en puissance des résumés par intelligence artificielle vient d'atteindre son point d'ébullition. Une nouvelle plainte a été déposée, cette fois par Penske Media Corporation, la société mère de publications américaines renommées telles que Rolling Stone et The Hollywood Reporter.

L'action en justice met en cause ce que beaucoup dans le monde de l'édition ressentent depuis un certain temps déjà. La chute drastique du trafic de recherche causée par les “AI Overviews” entraîne directement une baisse des revenus nécessaires à la création de contenu. Ce procès est en soi un développement déterminent, mais c'est la réponse de Google, formulée lors d'un sommet sur l'IA à New York, qui est peut-être encore plus révélatrice de la fracture qui s'opère.

Interrogé sur cette nouvelle affaire, Markham Erickson, vice-président des affaires gouvernementales et des politiques publiques de Google, a exposé la philosophie de l'entreprise. Tout en affirmant que Google n'abandonnera pas le modèle classique des 10 liens bleus, il a clairement exposé sa position sur les résumés IA. Selon lui, les préférences des utilisateurs évoluent. Ils ne chercheraient plus simplement des réponses factuelles et une liste de liens, mais désireraient de plus en plus des réponses contextuelles et des synthèses. Google se positionne donc comme un acteur répondant à cette nouvelle demande, tout en prétendant vouloir continuer à rediriger les internautes vers du contenu de valeur sur le web. L’argument central est que l’entreprise peut avoir le beurre et l'argent du beurre: fournir des résumés directs générés par l'IA tout en maintenant un écosystème sain qui envoie du trafic aux éditeurs.

Google Officially Launches Ads In AI Overviews

Le problème avec cette défense est qu'elle semble totalement déconnectée du modèle économique fondamental du web ouvert. Pour les éditeurs, la capacité à créer le contenu même sur lequel l'IA de Google s'appuie est directement financée par le trafic reçu de ces fameux 10 liens bleus. Lorsqu'un utilisateur obtient un résumé satisfaisant en haut de la page de recherche, l'incitation à cliquer sur la source originale s'effondre. Moins de trafic signifie moins de revenus publicitaires et moins de ventes d'affiliation, ce qui se traduit par une baisse de revenus pour les journalistes, les rédacteurs et les créateurs.

C'est le scénario classique du serpent qui se mord la queue. Si les éditeurs ne peuvent pas survivre, le puits de contenu de haute qualité, créé par des humains, dont l'IA a besoin pour générer ses résumés, finira par se tarir. Cette plainte déposée par un acteur aussi important que Penske Media constitue une escalade franche dans ce combat. D'autres, comme la News/Media Alliance, n'ont pas hésité à qualifier cette pratique de “définition même du vol”.

Cette bataille pour l'avenir du contenu ne se déroule pas en vase clos. Elle se place dans un contexte général où la puissance de Google et la frénésie autour de l'IA soulèvent des questions fondamentales. Alphabet, la société mère de Google, est récemment devenue la quatrième entreprise à atteindre une valeur boursière de 3 000 milliards de dollars, propulsée, comme Nvidia et Microsoft, par la vague d'enthousiasme des investisseurs pour l'intelligence artificielle. Cette puissance financière colossale alimente sa facilité à remodeler des écosystèmes entiers, comme celui de la recherche d'informations.

Cette domination ne la met pourtant pas à l'abri des ennuis judiciaires. Sur un autre front, la société vient de subir un revers dans l'affaire qui l'oppose à Epic Games. La cour d'appel a rejeté sa demande de révision, confirmant une décision de justice qui qualifie de monopole illégal sa gestion du Play Store sur Android. D'ici quelques semaines, Google sera contraint de cesser de forcer les développeurs à utiliser son système de paiement, de les autoriser à informer les utilisateurs sur d'autres moyens de paiement et même de créer des liens vers des téléchargements en dehors de sa boutique d'applications. Cette décision montre une tendance de fond: les pratiques de Mountain View, qui consistent à verrouiller ses écosystèmes pour en extraire un maximum de valeur, sont de plus en plus contestées et jugées illégales.

Entre les poursuites des éditeurs de contenu et les décisions de justice sur ses pratiques monopolistiques, Google se retrouve sur la défensive sur plusieurs fronts. D'un côté, il prétend servir les nouvelles habitudes des utilisateurs avec des résumés IA. De l'autre, il est accusé de siphonner la valeur créée par ceux qui produisent l'information originelle, mettant en péril leur survie. La question fondamentale reste entière: peut-on avoir un “écosystème sain” lorsque l'intermédiaire principal absorbe la quasi-totalité de la valeur ?

Cette nouvelle affaire est un combat pour l'avenir de la création, de la distribution et de la consommation de l'information sur Internet. Le résultat déterminera si le web ouvert, avec sa diversité de sources et de voix, peut survivre à l'ère de l'intelligence artificielle centralisée. Une histoire que je suivrais, évidemment, avec un intérêt tout particulier.

Mastodon Reddit Qwice