Google fait son show – Quand le Pixel 10 se noie sous les paillettes
À New York, Google organisait hier son grand raout annuel, « Made By Google 2025 ». Sur le papier, c’était censé être une célébration technologique: lancement du Pixel 10, de la Pixel Watch 4, et démonstration de la supériorité de l’intelligence artificielle maison, Gemini. Dans les faits ? Un spectacle digne d’une émission de télé-achat, saturé de stars hollywoodiennes, de gags forcés et de piques à peine voilées contre Apple. Autant dire que la firme de Mountain View a surtout prouvé une chose, son besoin maladif d’exister dans l’ombre de son rival.
Le coup d’envoi est donné par Jimmy Fallon, parachuté maître de cérémonie, visiblement plus habitué aux sketchs potaches qu’aux annonces de produits high-tech. Face à lui, Rick Osterloh, le vice-président de Google en charge des plateformes et des appareils, tente tant bien que mal de faire passer son message: « Beaucoup de promesses ont été faites, mais Gemini est la vraie révolution », lâche-t-il en visant Cupertino, accusé d’accumuler les retards dans son déploiement d’Apple Intelligence. La salle a applaudi, mais la démonstration tenait davantage du coup de griffe opportuniste que de l’argument solide. Car si Apple a pris du retard sur l’intégration de l’IA dans Siri, l’entreprise assume sa prudence. Google, lui, préfère la fuite en avant, déballer des fonctionnalités pas toujours stabilisées et déguiser cette précipitation en audace. Dans une publicité récente pour le Pixel 10, la marque s’est même amusée: « Si vous achetez un téléphone pour une fonctionnalité bientôt disponible mais qu’elle le reste pendant un an, vous devriez peut-être revoir la définition de bientôt, ou changer de téléphone. » C’est drôle, certes, mais on ne peut s’empêcher de voir le géant californien se rassurer lui-même.
Fallon, lui, s’est prêté au jeu du bateleur en agitant sous les yeux d’Osterloh une affiche reprenant un commentaire Reddit: « Les iPhones ne prennent pas les meilleures photos. » Rires convenus, applaudissements et une impression persistante de mise en scène grossière. La subtilité n’est pas au rendez-vous ce soir. Adrienne Lofton, vice-présidente marketing de Google, enfonce le clou en s’attaquant au « jardin clos » d’Apple. L’argument est connu: iOS enfermerait ses utilisateurs, là où Android incarnerait l’ouverture et la liberté. Un refrain mille fois entendu, brandi comme une vérité universelle, mais qui oublie de préciser que cette fameuse liberté s’accompagne aussi d’une fragmentation logicielle et d’une expérience utilisateur souvent inégale. Lofton rappelle également la guerre des bulles vertes et bleues, ce conflit de messagerie qui traîne depuis des années entre Android et iPhone. Google avait lancé en 2022 la campagne #GetTheMessage, exigeant que la marque à la pomme adopte le protocole RCS. Apple l’a finalement fait en 2024, améliorant la qualité des photos et vidéos, mais les messages Android restent verts. « C’est dépassé, on ne veut plus en parler », assure t-elle. Pourtant, Google lui-même a fait de ce détail un cheval de bataille marketing.
Et puis il y a eu la surenchère de célébrités. Dès les premières minutes, un clip aligne Alex Cooper, Steph Curry, Bryson DeChambeau ou encore Lando Norris, comme s’il s’agissait de vendre une boisson énergisante plutôt qu’un smartphone. Sur scène, Jimmy Fallon affiche ses conversations fictives avec Joe Jonas et Steph Curry, feignant d’être un utilisateur ravi. Cooper fait un détour pour montrer les fonctions photo du Pixel 10, Cody Rigsby transpire sur la Pixel Watch 4, et les Jonas Brothers clôturent le show avec un clip filmé évidemment sur le Pixel. Cette pluie de stars, coûteuse et envahissante, masque mal le manque d’âme de l’événement. Google semble convaincu que pour capter l’attention, il faut saturer l’écran de visages connus, quitte à transformer une keynote en télé-réalité sponsorisée. Résultat, un show souvent gênant, où le présentateur américain, incapable de cacher son désintérêt, multiple les questions triviales et les blagues forcées. Son cri « I P 6 8 ! I P 6 8 ! » pour célébrer l’étanchéité des Pixel, déjà présente depuis 2018 restera comme un moment de malaise, preuve que Google croit avoir trouvé là un argument choc.
Le plus triste ? Derrière cette mise en scène clinquante dont on connaissait déjà tout à l’avance (car chez Google on s’est dit que c’était une bonne idée d’autoriser la presse spécialisée à pouvoir publier les annonces une heure avant l’événement), il y avait pourtant de vraies innovations à présenter. Le Pixel 10 marque une étape importante dans l’intégration de l’IA au quotidien: traduction en direct, aide contextuelle, nouvelles approches de la photo et de la recherche. Autant de fonctionnalités qui auraient mérité des démonstrations concrètes, intelligentes, et surtout sincères. Au lieu de ça, l’entreprise a préféré noyer son message sous une avalanche de stars et de slogans bidons.
Le contraste avec Apple est flagrant. La firme de Cupertino n’est pas exempte de critiques, mais elle a au moins compris une chose, ses keynotes s’adressent d’abord à ceux qui s’intéressent vraiment à la technologie. Les spectateurs viennent pour voir des produits, des démos précises, des annonces claires. Chez Google, on a eu droit à un Jimmy Fallon qui joue les consommateurs moyens, demandant pourquoi tout le monde parle d’IA. Des questions simplistes qui ont tiré les réponses vers le bas, comme si le public n’était pas assez intelligent pour comprendre autre chose que des banalités.
En fin de compte, Google voulait prouver qu’il tenait un téléphone révolutionnaire et un logiciel en avance. Mais la mise en scène a surtout révélé une fébrilité, la peur de rester dans l’ombre d’Apple, la tentation permanente de gratter des points en ridiculisant le voisin. Et c’est peut-être ça le vrai problème, il ne joue pas pour lui-même. Il joue pour exister dans le miroir de son concurrent. Chaque pique, chaque publicité, chaque “jardin ouvert” opposé au “jardin clos” d’iOS n’est qu’une façon de dire, regardez, nous aussi on pèse dans le game. Le Pixel 10 aurait pu être un manifeste technologique, il est devenu un cri d’insécurité. Apple peut dormir tranquille. Google s’occupe tout seul de ressembler à un mauvais imitateur.