House of Guinness – La nouvelle pub de 8 heures pour sauver le capitalisme

Accrochez-vous à votre pinte, Steven Knight a encore frappé. Sa recette fétiche ? Prenez une période historique bien crasseuse, ajoutez une bonne dose de conflits familiaux dignes d'un soap opera, saupoudrez de violence virile et nappez le tout d'une bande-son rock anachronique. Vous obtenez Peaky Blinders et maintenant House of Guinness, sa cousine spirituelle qui sent bon le houblon.
Dès l'ouverture, le ton est donné. On zappe entre l'enterrement du grand manitou de la bière, Benjamin Guinness, et une manif de ligue de vertu qui hurle aux dangers de l'alcoolisme juste devant ses portes. C'est profond, vous comprenez. Juste avant, on nous prévient que tout ceci est une fiction inspirée d'histoires vraies. La fameuse clause de non-responsabilité pour pouvoir raconter absolument n'importe quoi. S'ensuit un montage épileptique du brassage de la bière, filmé comme un clip de metal industriel, avant l'arrivée de l'homme de main de la famille, le ténébreux Sean Rafferty. Quand on lui demande si la manifestation va dégénérer, il lâche la phrase qui résume toute la philosophie de la série:
« Le nom de la famille, c'est Guinness. Bien sûr qu'il y aura des putains de problèmes. »
Et voilà. Le décor est planté, le cerveau peut être mis en pause.
Le pitch est d'une originalité folle. Le patriarche meurt et ses quatre enfants se lancent dans une guerre de succession pour prendre le contrôle de l'empire. Imaginez la série Succession, mais avec plus de chapeaux melon et une odeur persistante de levure. D'un côté, nous avons Edward, le fils dévoué, le gentil garçon un peu mou du genou qui, oh surprise, fricote en secret avec une rebelle indépendantiste irlandaise. De l'autre, Arthur, le dandy flamboyant revenu de Londres, qui doit cacher son homosexualité pour ne pas ruiner sa carrière politique. Des secrets, des trahisons, des regards torves par-dessus des chopes, tous les ingrédients du parfait feuilleton du soir sont là, prêts à être consommés sans modération.
Il faut l'admettre, le spectacle est diablement efficace. Les acteurs s'en donnent à cœur joie, visiblement ravis de pouvoir froncer les sourcils, claquer des portes et prendre des poses viriles. C'est du Steven Knight pur jus, un terrain de jeu pour des performances musclées où la subtilité est laissée au vestiaire. Et ça se regarde tout seul. Les épisodes défilent, rythmés par des morceaux de rock irlandais qui nous rappellent que, même en 1868, on peut avoir un style d'enfer. C'est de l'Histoire pour les nuls pressés, un cours magistral sous Ritaline où l'on n'a pas le temps de s'ennuyer, ni de réfléchir.

Et c'est bien là que le bât blesse. House of Guinness fait semblant de s'intéresser aux grandes questions. Le colonialisme britannique ? On en parle cinq minutes entre deux bagarres. L'exploitation de la classe ouvrière irlandaise ? Ah, ces braves gens, ils ont l'air si contents de brasser notre bière ! Le rôle d'une multinationale dans un pays sous occupation ? C'est compliqué, allez, un petit riff de guitare électrique et on passe à autre chose. La série effleure tous les sujets potentiellement explosifs avec la délicatesse d'un VRP qui ne veut surtout froisser personne. Elle nous montre la misère de Dublin, mais la filme avec une esthétique si léchée qu'on la croirait sortie d'un magazine de mode.
Ne nous y trompons pas, House of Guinness est le plus long, le plus cher et le plus stylé des spots publicitaires jamais créés. Chaque plan sur une pinte de stout est une déclaration d'amour. Un épisode entier est consacré à la création du logo de la harpe, et se termine par un plan quasi orgasmique sur l'emblème apparaissant sur le verre, juste avant le générique. C'est à peine déguisé. Pour être sûr que le prolo de 2025 comprenne bien l'enjeu, la série affiche même à l'écran la conversion en monnaie actuelle à chaque fois qu'une somme est mentionnée. Pédagogique, non ?
Au final, la série est à l'image de la multinationale qu'elle dépeint, une machine parfaitement huilée, séduisante, qui aplanit toutes les aspérités pour s'assurer que le produit final soit aussi lisse et consommable que possible. Bref, le message est simple, la bière est bonne, la marque est éternelle et les questions qui fâchent… eh bien, elles donnent mal à la tête. Reprenez donc une pinte.
