La bombe carbone cachée derrière nos clics

Chaque recherche que nous lançons, chaque e-mail que nous envoyons, chaque vidéo que nous visionnons semble immatériel, un simple jeu de lumière sur nos écrans. Nous vivons dans l'illusion d'un monde numérique propre et sans effort. Pourtant, derrière cette façade lisse et épurée, une infrastructure monstrueuse et polluante dévore nos ressources.

La dernière preuve en date ? Un projet de data center « hyperscale » de Google à Thurrock, dans la banlieue londonienne, qui révèle le coût écologique vertigineux de notre boulimie de données. Les documents de planification, soumis discrètement par une filiale d'Alphabet, la maison mère de Google, dressent un portrait bien sombre. Sur 52 hectares de terrain, là où résonnaient autrefois les moteurs d'un circuit automobile, s'élèvera bientôt un complexe qui crachera plus de 568 000 tonnes d'équivalent CO2​ dans l'atmosphère chaque année. Pour visualiser l'énormité de ce chiffre, imaginez 500 vols court-courriers, comme un trajet Paris-Oran, décollant chaque semaine, toute l'année. Voilà l'empreinte carbone d'un seul des nombreux projets de l’entreprise américaine.

Face à cette aberration écologique, la réponse du géant du web est d'une désinvolture qui frôle le cynisme. Dans sa demande, Google qualifie cet impact de « négatif mineur et non significatif par rapport aux budgets carbone du Royaume-Uni ». Une affirmation balayée d'un revers de main par les défenseurs de l'environnement. Pour le groupe de campagne Foxglove, la réalité est tout autre:

« L'installation prévue par Google dans l'Essex produira des émissions de carbone plusieurs fois supérieures à celles d'un aéroport international ».

Ce projet n'est pas un acte isolé. Il s'agit de la tête de pont d'une invasion concertée par les GAFAM, bien décidés à transformer le Royaume-Uni en leur entrepôt de données personnel, sans se soucier des conséquences pour la planète. Cette offensive est encouragée par une alliance politique inquiétante. Alors que l'administration Trump et le gouvernement britannique poussent frénétiquement pour augmenter les capacités en intelligence artificielle, le Premier ministre Keir Starmer semble dérouler le tapis rouge, aveuglé par des promesses de croissance économique.

Ce même gouvernement prévoit en effet une multiplication par treize de la puissance de calcul nécessaire à l'IA d'ici 2035. Pour satisfaire cet appétit gargantuesque, il brade l'environnement en espérant que la technologie relancera une productivité économique anémique. Des accords de plusieurs milliards de dollars avec des mastodontes comme Nvidia et OpenAI sont dans les tuyaux. Le risque est de créer un déficit de calcul qui, selon Downing Street, minerait la sécurité nationale et la croissance économique. Dans cette course effrénée, l'écologie est la première sacrifiée.

Les conséquences pour les citoyens d’outre-Manche et l'environnement seront, elles, bien réelles. Les data centers consomment déjà environ 2,5 % de l'électricité du Royaume-Uni, et cette demande devrait quadrupler d'ici 2030 selon la bibliothèque de la chambre des communes. Cette pression énorme sur le réseau électrique se traduira inévitablement par des factures d'énergie plus élevées pour tous. Pire encore, ces centres sont de véritables ogres en matière d'eau, une ressource de plus en plus précieuse, utilisée en quantités massives pour refroidir les serveurs en surchauffe.

L'argument, qui mise sur la décarbonation du réseau électrique pour minimiser l'impact, est un pari risqué et trompeur. Il ignore la réalité immédiate de ces émissions massives et la pression insoutenable exercée sur des ressources limitées. C'est au final le public qui finira par payer la facture des data centers des géants de la tech, que ce soit en termes de factures d'énergie exorbitantes, de réserves d'eau en diminution ou d'une planète qui se réchauffe. Le problème est global. L'IA et ses data centers pourraient représenter 2 % des émissions mondiales et 17 % des émissions industrielles d'ici 2035. Le projet de Thurrock n'est qu'un symptôme d'une maladie qui ronge la planète: la croyance aveugle en une croissance technologique infinie sur une planète aux ressources finies. Le monde numérique a un coût physique, et il est exorbitant. La question n'est plus de savoir si nous avons besoin de la technologie, mais à quel prix. Et derrière la façade épurée de Google, la facture environnementale s'annonce salée, très salée.

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