Le Bâillon de Trump – Jimmy Kimmel, chronique d'une censure d'État
Je n’aime généralement pas exprimer un avis politique sur mon blog, mais là, impossible de me taire. Car un couperet est tombé, brutal et sans appel.
Ce mercredi, Jimmy Kimmel, célèbre présentateur TV américain, est devenu la dernière victime de la guerre déclarée par Donald Trump contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à une voix discordante. Sa chaîne, ABC, a annoncé la suspension indéfinie de son émission de fin de soirée. Si vous cherchez frénétiquement la blague immonde, le dérapage inexcusable qui aurait pu justifier une telle sanction, ne vous fatiguez pas. Il n'y en a pas.
Le crime de lèse-majesté ? Un monologue d'une minute, diffusé le lundi 15 septembre. Le contexte est tragique, le meurtre de Charlie Kirk, figure de la droite conservatrice. Kimmel, comme à son habitude, commente l'actualité et la récupération politique qui s'ensuit. Il lance:
« Nous avons atteint de nouveaux abîmes ce week-end, avec le gang MAGA tentant désespérément de dépeindre ce gamin qui a assassiné Charlie Kirk comme n'importe quoi d'autre qu'un des leurs ».
Puis, il enchaîne sur la réaction du président Trump lui-même, soulignant l'étrange manière dont il gère son deuil. Après qu'un journaliste lui a présenté ses condoléances, ce dernier pivote sans transition:
« Je pense que ça va très bien. Et d'ailleurs, juste là, vous voyez tous les camions ? Ils viennent de commencer la construction de la nouvelle salle de bal de la Maison Blanche... ».
La chute de Kimmel est aussi simple que percutante:
« Oui, il en est à la quatrième étape du deuil, la construction. [...] C'est ainsi qu'un enfant de quatre ans pleure son poisson rouge ».
Voilà le péché originel. Une blague. Une simple et banale observation sur le narcissisme pathologique d'un homme incapable de maintenir son attention sur une tragédie plus de dix secondes. Mais pour la meute MAGA, c'est un prétexte en or. Ils tordent ses propos, prétendant que le présentateur vedette a qualifié le meurtrier de partisan de Trump. Peu importe que ce ne soit pas ce qu'il a dit. La vérité n'a aucune importance dans le tribunal de l'inquisition trumpiste. L'objectif était fixé depuis longtemps.
Car cette annulation n'est une surprise que pour ceux qui ne prêtent pas attention aux diatribes obsessionnelles du président américain sur son réseau Truth Social. En juillet, après l'annonce de la fin de l'émission de Stephen Colbert sur CBS, il jubilait déjà, prophétisant:
« J'entends dire que Jimmy Kimmel est le prochain ».
Mercredi, il célébrait sa victoire:
« Excellente nouvelle pour l'Amérique: le Jimmy Kimmel Show est ANNULÉ. Félicitations à ABC pour avoir enfin eu le courage de faire ce qui devait être fait ».
Le message est parfaitement clair. La comédie est autorisée, mais seulement si elle est à la botte du pouvoir.
Ce qui rend cette affaire particulièrement sinistre, c'est l'implication directe de l'appareil d'État. Le point de bascule fut l'intervention de Brendan Carr, le président de la Commission Fédérale des Communications (FCC) nommé par Trump, sur une émission en ligne d'un influenceur MAGA. Avec un sérieux de procureur stalinien, Carr a qualifié les propos de Kimmel de « conduite des plus abjectes » et, surtout, a agité la menace de sanctions.
Son langage, à peine voilé, était celui d'un mafieux:
« On peut faire ça à la manière douce ou ces entreprises peuvent trouver des moyens de changer de conduite... de prendre des mesures, franchement, contre Kimmel, ou il y aura du travail supplémentaire pour la FCC ».
La menace est bien là. Les stations de télévision locales affiliées à ABC, qui dépendent de la FCC pour leurs licences de diffusion, ont intérêt à faire pression sur le réseau pour faire taire le comédien. Sinon...
La capitulation a été immédiate et totale. Sinclair et Nexstar, deux géants possédant des centaines de stations locales (Nexstar étant d'ailleurs en attente d'une validation de la FCC pour un rachat à 6,2 milliards de dollars), ont annoncé qu'ils ne diffuseraient plus Jimmy Kimmel. Quelques heures plus tard, Disney, la maison mère d'ABC, pliait l'échine. La peur des représailles réglementaires, la crainte de voir des contrats juteux (comme celui de la NFL pour ESPN) menacés par un pouvoir vindicatif, a eu raison de toute velléité de défendre la liberté d'expression.
Le plus pervers dans cette histoire est la manière dont les médias complices ont couvert l'affaire. Sur des chaînes comme CNBC, on débattait du “dérapage” de l’intéressé pendant de longues minutes sans jamais diffuser l'extrait en question. Le spectateur moyen américain est ainsi laissé à son imagination, persuadé que le comédien a dû prononcer une horreur innommable, justifiant ainsi la censure.
Ne nous y trompons pas. Ceci n'est pas une banale querelle entre un président et un humoriste. C'est une démonstration de force, un avertissement glaçant envoyé à quiconque oserait encore se moquer du roi. L'administration Trump utilise les leviers de l'État pour faire taire ses détracteurs, transformant une agence de régulation en police de la pensée. Ils ont commencé avec les journalistes, purgé les scientifiques, et s'attaquent maintenant aux comédiens.
La droite américaine, qui hurle à la « cancel culture » dès qu'un de ses polémistes est critiqué sur les réseaux sociaux, applaudit aujourd'hui des deux mains une censure orchestrée par le gouvernement. Leur hypocrisie est assourdissante. Ce n'est pas la culture de l'annulation, c'est la culture de la soumission.
L'Américain moyen pourrait penser que le sort d'un animateur de talk-show millionnaire ne le concerne pas. Grave erreur. Un pouvoir qui peut faire taire un humoriste célèbre pour une blague inoffensive est un pouvoir qui peut faire taire n'importe qui. La liste des cibles ne fera que s'allonger. Hier, c'était Jimmy Kimmel. Demain, ce sera qui ? Quiconque refusera de marcher au pas. Le silence assourdissant qui a remplacé le rire sur la chaîne ABC est peut-être le son le plus terrifiant de l'Amérique de 2025.