Le « vibe coding » ne fera pas disparaître nos logiciels de productivité
Il y a dans la Silicon Valley une tendance bien connue, chaque fois qu’une nouvelle technologie surgit, on lui prête le pouvoir de rayer d’un trait tout ce qui l’a précédée. Le « vibe coding », cette approche popularisée par Andrej Karpathy qui consiste à donner des instructions à une intelligence artificielle pour qu’elle génère du code, n’échappe pas à cette règle. Certains commentateurs y voient déjà la fin des logiciels de productivité tels que nous les connaissons. Une vision, à mon sens, simpliste et surtout erronée.
Car l’histoire de la technologie en est la preuve. Les grandes innovations ne se substituent pas immédiatement aux outils existants, elles les transforment et les complètent. Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, l’a rappelé récemment dans son podcast Possible. Quand le mobile a explosé au début des années 2010, beaucoup ont cru que le PC allait disparaître. Résultat, non seulement l’ordinateur personnel existe toujours, mais il continue de jouer un rôle central, notamment dans les usages professionnels. Le mobile n’a pas tué le PC, il l’a simplement obligé à se réinventer.
Le même raisonnement vaut pour le vibe coding. Imaginer que cette pratique va effacer les logiciels de productivité relève d’un réflexe exagéré, presque pavlovien, qui confond nouveauté et remplacement. Oui, le vibe coding va prendre de l’ampleur. Oui, il deviendra sans doute une compétence recherchée dans les métiers du développement. Mais il ne rendra pas obsolètes les outils qui structurent notre quotidien de travail: les suites bureautiques, les logiciels de gestion de projets, les plateformes collaboratives. Au contraire, il pourrait bien les renforcer en automatisant certaines tâches répétitives et en libérant du temps pour ce qui compte vraiment, la créativité, l’analyse, la stratégie.
En réalité, les annonces de « mort » technologique en disent souvent plus sur notre fascination pour le futur que sur l’avenir réel des usages. Nous aimons l’idée de rupture radicale, presque hollywoodienne, où une innovation balaye tout sur son passage. Pourtant, la technologie progresse rarement de cette façon. Elle procède par couches, par ajustements successifs, par hybridations. L’IA et le vibe coding ne feront pas exception. Ils viendront enrichir nos outils existants au lieu de les reléguer au musée numérique.
Il est d’ailleurs révélateur que Reid Hoffman, investisseur aguerri, insiste sur la coexistence plutôt que sur l’opposition. De son point de vue, miser sur une technologie émergente ne signifie pas tourner le dos aux infrastructures établies. Celles-ci persistent souvent plus longtemps qu’on ne le croit. Et lorsqu’elles déclinent, c’est rarement à cause d’une nouveauté soudaine, mais parce qu’elles n’ont pas su évoluer.
En fin de compte, la vraie question n’est pas de savoir si le vibe coding tuera les logiciels de productivité, mais comment ces deux mondes vont dialoguer. Si l’histoire nous apprend quelque chose, c’est que la productivité ne disparaît pas, elle change de forme. Alors cessons d’annoncer trop vite la fin d’outils qui, loin d’être condamnés, trouveront une nouvelle jeunesse au contact de l’intelligence artificielle.