L'IA de Google ne nuirait pas au web ? La nouvelle fable du géant de la recherche
Dans une opération de communication qui frise l'insulte à l'intelligence collective, Google vient de nous servir sa dernière vérité officielle: non, ses nouvelles fonctionnalités de recherche basées sur l'IA ne sont absolument pas en train de siphonner le trafic des sites web. Circulez, y'a rien à voir.
C'est Liz Reid, la directrice de la recherche, qui s'est fendue d'un billet de blog pour nous expliquer, avec tout le sérieux que sa fonction exige, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes numériques. Selon elle, le volume de clics provenant du moteur de recherche serait resté relativement stable par rapport à l'année dernière. Une affirmation culottée, presque comique, quand on la confronte à la réalité vécue par des milliers de créateurs de contenu, de médias et de sites indépendants qui voient leur audience fondre comme neige au soleil. Bien sûr, Madame Reid concède du bout des lèvres que certains types de sites reçoivent plus de clics et d'autres moins. Une manière élégante de dire que Google a décidé de faire la pluie et le beau temps, choisissant les gagnants et les perdants de sa nouvelle ère.
Ce plaidoyer pro domo intervient quelques semaines seulement après la publication d'un rapport du très respecté Pew Research Center. Leurs conclusions ? Les internautes sont moins susceptibles de cliquer sur des liens lorsque Google leur présente un AI Overview, ce résumé généré par une IA qui trône désormais au sommet des résultats de recherche. La réponse du géant américain est d'une arrogance spectaculaire: les rapports de tiers, comme celui cité plus haut, seraient souvent basés sur des méthodologies défectueuses. En clair, seuls les chiffres maison sont les bons, surtout quand personne d'autre ne peut les vérifier.
Pendant que Google se gargarise de ses propres affirmations, l'industrie des médias numériques panse ses plaies. Un rapport récent du Wall Street Journal détaillait comment des géants de la presse outre-Atlantique comme Business Insider, The Washington Post ou le HuffPost ont subi des baisses de trafic drastiques, entraînant des vagues de licenciements. La cause ? L'émergence des IA conversationnelles et, surtout, les changements d'algorithmes de Google. Le message de l'entreprise est limpide, si votre trafic s'effondre, c'est que vous n'êtes pas assez « authentique ». Liz Reid nous explique doctement que les utilisateurs recherchent des forums, des vidéos, des podcasts et donc des « voix authentiques ».
C'est là que la supercherie devient évidente. Qui sont ces grands gagnants de la nouvelle donne ? Par un heureux hasard, Reddit, avec qui Google a signé un partenariat juteux début 2024 pour entraîner ses modèles d'IA, a vu son trafic plus que doubler depuis 2021. La croissance a même explosé depuis l'annonce de leur accord. Google ne se contente pas d'observer une tendance vers les « voix authentiques », il la fabrique de toutes pièces en favorisant massivement un partenaire commercial. L'affirmation selon laquelle le volume global de clics reste stable peut donc être techniquement vraie, mais elle masque une redistribution massive et arbitraire des cartes, où les petits sites de niche et les médias indépendants sont sacrifiés sur l'autel des intérêts stratégiques de la firme de Mountain View.
Le cœur du problème, et le point le plus insultant du billet de Liz Reid, est l'absence totale, abyssale, de données concrètes. On nous parle de clics relativement stables, de clics de meilleure qualité pour ceux qui daignent encore cliquer sur un lien après avoir lu le résumé de l'IA. Mais où sont les chiffres ? Où sont les métriques ? Nous sommes priés de croire Google sur parole. Un acte de foi que plus personne n'est disposé à faire.
L’entreprise tente de nous faire croire que ses AI Overviews ne sont qu'une évolution de ses anciennes « Knowledge Graph ». Pourtant, il y a une différence fondamentale: ces anciennes fiches d'information répondaient à des questions simples (la hauteur de la Tour Eiffel, un score de match). Les AI Overviews, eux, synthétisent des articles complexes, des analyses, des critiques, privant ainsi les sites originaux de la raison même de leur existence: le clic de l'internaute curieux. Liz Reid admet elle-même que parfois, l'utilisateur obtient ce dont il a besoin grâce à la réponse de l'IA et ne cliquera pas plus loin. Comment peut-on alors prétendre que cela est bénéfique pour le web ?
Le clou du spectacle est sans doute cette affirmation finale: Google se soucierait plus que n'importe quelle autre entreprise de la santé de l'écosystème du web. C'est une déclaration d'une hypocrisie monumentale. Google ne s’en préoccupe pas, il s’intéresse uniquement à la santé de son monopole. En gardant les utilisateurs captifs sur ses propres pages, en leur fournissant des réponses directes pour qu'ils n'aient plus besoin de sortir de son écosystème, il ne renforce pas le web. Il construit une prison dorée autour de lui.
Tant que Google refusera de fournir des données transparentes pour étayer ses affirmations, son discours ne sera rien de plus qu'une tentative désespérée de contrôler le narratif. Le web ouvert, diversifié et décentralisé qui lui a permis de naître est peut-être en train de mourir de la main de son enfant devenu trop puissant, trop arrogant et dangereusement aveugle à la destruction qu'il engendre.