L'IA selon Microsoft – Refroidir la planète tout en réchauffant la guerre des navigateurs

L'intelligence artificielle est sur toutes les lèvres, promettant une révolution dans notre manière de travailler, de créer et d'interagir. Pourtant, derrière cette façade d'innovation se cache une réalité plus sombre. Elle est un gouffre énergétique. La puissance de calcul nécessaire à son fonctionnement, principalement assurée par des milliers de processeurs graphiques, génère une quantité colossale de chaleur et contribue aux émissions de gaz à effet de serre, à un moment où notre planète a désespérément besoin d'aller dans la direction opposée.
C'est dans ce contexte paradoxal que Microsoft vient d'annoncer une double offensive. D’un coté une innovation matérielle pour refroidir ses puces et de l’autre une vision logicielle pour réinventer notre porte d'entrée sur le web qu’est le navigateur. Le premier front de cette bataille se situe au cœur des data centers. Le refroidissement des GPU n'est pas un détail technique, c'est un enjeu de premier plan. Actuellement, de nombreuses infrastructures s'appuient sur des “plaques froides” pour dissiper la chaleur. Si cette méthode a fait ses preuves, elle atteint ses limites. Les plaques sont séparées de la source de chaleur par plusieurs couches de matériaux, ce qui nuit à leur efficacité.
« Si dans cinq ans, vous dépendez encore fortement de la technologie traditionnelle des plaques froides, vous êtes bloqué », prévient Sashi Majety, chef de programme chez Microsoft.
Pour surmonter cet obstacle, la firme de Redmond a dévoilé une avancée basée sur la microfluidique. L'idée est d'amener le liquide de refroidissement au plus près de la source de chaleur. Dans le prototype de l'entreprise, ce liquide circule à travers des canaux microscopiques, semblables à des fils, gravés directement au dos de la puce. Pour optimiser le flux, elle a même utilisé l'IA, créant une boucle vertueuse où l'intelligence artificielle aide à refroidir ses propres fondations matérielles.

D’une inspiration biomimétique, les gravures sur la puce rappellent les nervures d'une feuille ou les motifs sur les ailes d'un papillon, des structures que la nature a perfectionnées pour un transport efficace des fluides. Les résultats annoncés sont impressionnants: le système pourrait offrir un refroidissement trois fois supérieur aux méthodes actuelles et réduire de 65 % l'augmentation maximale de la température du silicium. Cela permettrait de surcadencer les puces sans craindre de les faire fondre, d'installer les serveurs plus près les uns des autres et d'améliorer la récupération de la chaleur résiduelle. Étonnamment, malgré les implications écologiques évidentes, la communication de Microsoft met surtout l'accent sur les gains de performance, n'évoquant que timidement la durabilité et la réduction de la pression sur le réseau électrique.
Le navigateur, le nouveau champ de bataille de l'IA
Mais maîtriser le hardware n'est que la moitié de l'équation. La véritable interaction avec l'IA se passe au niveau du logiciel et Microsoft entend bien y mener une autre guerre, celle des navigateurs. Alors que Google intègre Gemini dans Chrome et que des acteurs comme Perplexity développent leurs propres navigateurs IA, Microsoft prépare la transformation de son navigateur Edge. Dans une récente interview, Mustafa Suleyman, le PDG de la branche IA de l’entreprise, a exposé sa vision: faire d'Edge un navigateur agentif. L'idée n'est plus seulement d'avoir un assistant qui répond à vos questions dans une barre latérale, mais une IA qui prend les commandes.
“Je pense que le navigateur va évoluer pour devenir un véritable agent”, explique-t-il. “Votre IA sera capable d'utiliser tous les outils que vous utilisez dans le navigateur.”
Imaginez la scène, vous demandez à Copilot de trouver le meilleur restaurant italien du quartier. Au lieu de vous donner une simple liste de liens, l'IA ouvrira plusieurs onglets, lira les avis, comparera les menus et les prix, et vous présentera une synthèse, tout cela sous vos yeux.
“C'est un peu comme avoir un petit ange sur l'épaule qui fait le travail ennuyeux et difficile à votre place”, poétise Suleyman.

Cette stratégie permet à Microsoft de capitaliser sur l'existant sans forcer les utilisateurs à adopter un tout nouvel outil. Copilot sera de plus en plus intégré dans Edge, une tendance déjà visible avec l'apparition de nouveaux boutons d'accès rapide dans Windows 11 et l'intégration d'agents IA dans les réunions Teams. Cette omniprésence vise à créer une expérience fluide et transparente où l'utilisateur reste maître à bord. En observant l'IA naviguer, l'utilisateur garde le contrôle et peut intervenir à tout moment, ce qui, selon Suleyman, est essentiel pour bâtir la confiance. De plus, cette méthode assure que les éditeurs de sites web continuent de recevoir du trafic, même si c'est l'IA qui effectue la visite.
À terme, la vision est encore plus ambitieuse. Suleyman imagine un avenir où notre compagnon IA deviendra notre interface principale avec le monde numérique, utilisant en coulisses les applications, les systèmes d'exploitation et les navigateurs à notre place. Nous ne serions plus que des superviseurs, orientant et donnant notre avis sur le travail accompli par notre double numérique. Un avenir qui semble à la fois magique et vertigineux.
En s'attaquant simultanément aux fondations physiques de l'IA et à son interface avec l'utilisateur, Microsoft joue une partie décisive. D'un côté, une innovation matérielle qui pourrait atténuer l'empreinte carbone de l'IA tout en décuplant sa puissance. De l'autre, une vision logicielle qui pourrait changer à jamais notre rapport au web. La question demeure: ces avancées serviront-elles principalement à nourrir une course à la performance sans fin, ou parviendront-elles réellement à orienter l'IA vers un avenir plus durable et véritablement au service de l'humain ?
