Nick Clegg s'attaque à la Silicon Valley et ses « tech bros »
La Silicon Valley adore se présenter comme le temple de l’innovation et de la liberté d’esprit. Mais selon Nick Clegg, ancien président des affaires mondiales de Meta et ex-vice-premier ministre britannique, la réalité est bien moins glamour. Dans un entretien accordé au Guardian pour promouvoir son prochain livre, How to Save the Internet, il dépeint le cœur battant de la tech mondiale comme un lieu étouffant de conformisme, où les milliardaires surcotés se rêvent en victimes. Un portrait au vitriol, signé par un homme qui connaît la machine de l’intérieur.
Oubliez l’image du génie solitaire en hoodie qui réinvente le monde dans son garage. Pour Nick Clegg, la Silicon Valley n’est pas un laboratoire d’idées foisonnant, mais un écosystème où tout le monde copie tout le monde.
« Ils portent les mêmes vêtements, conduisent les mêmes voitures, écoutent les mêmes podcasts, suivent les mêmes modes », lâche-t-il.
Loin d’un terreau d’originalité, la Californie technologique ressemblerait davantage à une cour de récréation géante dominée par l’effet de meute. Un constat piquant quand on se souvient que l’intéressé, avant de rejoindre Meta en 2018, avait passé des années au sommet de la politique britannique. Chef des Libéraux-démocrates, vice-premier ministre de 2010 à 2015, il incarnait alors une figure centriste pragmatique. Son arrivée chez Facebook, rebaptisé Meta, fut perçue comme un coup stratégique: crédibiliser une entreprise embourbée dans les scandales liés aux fake news et à la manipulation électorale. Promu en 2022 à la tête de la communication et des politiques publiques, il a géré des dossiers brûlants, de la modération de contenus aux relations avec les gouvernements. Bref, il a vu le système de près, et il ne semble pas en garder que de bons souvenirs.
Nick Clegg ne s’arrête pas au conformisme vestimentaire ou culturel. Ce qui l’inquiète davantage, c’est la domination de la figure du « tech bro ». Ce stéréotype d’entrepreneur masculin, hyper sûr de lui, un brin arrogant, est devenu l’emblème de la Silicon Valley moderne. Elon Musk, Jeff Bezos, certains podcasteurs influents, tous participent, selon lui, à entretenir une ambiance toxique mêlant virilisme et susceptibilité. Il précise ne pas viser directement Mark Zuckerberg, son ancien patron. Mais difficile de ne pas voir dans son portrait un règlement de comptes implicite avec un milieu où, dit-il, les leaders les plus riches et les plus puissants affichent une combinaison profondément peu attrayante de machisme et d’auto-apitoiement. Autrement dit, un cocktail étrange, une confiance excessive alliée à une tendance à se plaindre dès qu’ils sont critiqués.
C’est sans doute le passage le plus mordant de l’entretien. Pour lui, ces géants de la tech se vivent comme des victimes permanentes.
« On pourrait penser que si vous êtes immensément riche et puissant comme Elon Musk et tous ces autres ‘tech bros’, vous auriez un minimum de recul pour mesurer votre chance par rapport à la plupart des gens », souligne-t-il.
Mais non, au lieu de se voir comme des privilégiés, ils s’imaginent persécutés. Ce sentiment, poursuit-il, nourrit une rhétorique où l’égalité ressemble à une menace.
« Si vous êtes habitués au privilège, l’égalité ressemble à de l’oppression », résume-t-il.
Une punchline qui vise tout autant les déclarations provocatrices de Musk que l’écosystème médiatique qui gravite autour des podcasts de la Silicon Valley, souvent prompt à se poser en rebelles alors qu’ils cumulent argent, pouvoir et influence.
Au fond, la charge de Clegg ne se limite pas à un règlement de comptes. Elle met en lumière une contradiction qui hante la Silicon Valley: d’un côté, l’image d’un lieu de créativité sans limites, de l’autre, une réalité faite d’entre-soi, de mimétisme et de susceptibilité. Pendant des années, les patrons de la tech ont cultivé leur statut de visionnaires intouchables. Mais la défiance grandit. Concentration de pouvoir, manipulation des données, fuite en avant idéologique. La critique n’est plus l’apanage des militants ou des politiques. Elle vient désormais de l’intérieur, portée par des anciens dirigeants, qui osent dévoiler les coulisses peu reluisantes de ce monde.
En publiant How to Save the Internet, Nick Clegg espère visiblement ouvrir un nouveau chapitre de sa carrière, loin de la tour de verre de Meta. Sa critique sonne comme un avertissement: comment prétendre « sauver » Internet quand ceux qui le façonnent sont enfermés dans une culture où la diversité des idées est étouffée par le conformisme et l’ego ? Les voix dissidentes se multiplient, fissurant peu à peu le mythe de la Silicon Valley. Et si la tech voulait vraiment se réinventer, il lui faudrait peut-être commencer par balayer devant sa porte.