Pourquoi j'ai quitté Spotify pour Qobuz

J’ai longtemps été l’archétype de l’utilisateur “verrouillé” chez Spotify: playlists accumulées depuis des années, habitudes bien ancrées, recommandations convenables. Puis 2024–2025 est arrivé avec son lot de signaux faibles devenus bruyants. D’un côté, une plateforme qui durcit ses règles, augmente ses tarifs et s’enlise dans des controverses politiques. De l’autre, un concurrent qui assume une ligne sonore et éditoriale exigeante, met les nouveaux albums du vendredi au cœur de l’expérience, et rémunère mieux les ayants droit. À un moment, il faut choisir ce que l’on cautionne avec son abonnement. J’ai choisi Qobuz.

Commençons par Spotify. En avril 2024, la firme a mis en place un nouveau modèle de redevances qui exclut du pool des royalties tous les titres n’atteignant pas 1 000 écoutes sur 12 mois. Officiellement, il s’agissait de lutter contre la fraude et de rediriger l’argent vers les “vrais” artistes. Concrètement, des millions de morceaux (souvent d’artistes émergents) ont été démonétisés. La plateforme l’a confirmé noir sur blanc sur son blog. Côté utilisateurs, l’épisode “Car Thing” a achevé d’entamer ma confiance. En mai 2024, Spotify a annoncé la fin du support de son boîtier auto, puis sa mise hors service définitive le 9 décembre 2024. Des appareils achetés à prix public ont été purement et simplement “briqués”, déclenchant une pluie de critiques et des actions en justice. Une fenêtre de remboursement a même dû être ouverte ensuite. À mes yeux, c’est un révélateur de la relation produit-client devenue unilatérale.

Les hausses de prix successives ont aussi pesé. En France, Spotify a relevé ses tarifs en 2024 à la suite de la taxe de 1,2 % destinée à soutenir la création via le CNM. Cette année, de nouvelles augmentations ont été annoncées dans plusieurs pays. On peut défendre l’idée qu’un service doit coûter plus cher, on peut aussi s’interroger quand l’expérience n’évolue pas dans le même sens.

Autre raison, la couche politique n’a cessé de s’épaissir. L’ombre portée du contrat exclusif avec Joe Rogan et les débats sans fin sur la désinformation ont remis le curseur de la responsabilité éditoriale au centre, jusqu’à une commission du Congrès américain qui, le 29 juillet 2025, a demandé des comptes à Spotify sur d’éventuelles pressions pour censurer ou non des contenus. Dans le même été, une autre controverse a pris de l’ampleur: des groupes comme King Gizzard & The Lizard Wizard, Deerhoof ou Xiu Xiu ont annoncé quitter la plateforme, dénonçant les investissements du fondateur Daniel Ek dans Helsing, une entreprise d’IA militaire. On peut ne pas partager leurs positions, mais on ne peut pas prétendre que ces questions n’existent pas.

Pendant ce temps, j’explorais Qobuz. Première évidence, le son. Le service français diffuse en FLAC, du 16/44,1 (qualité CD) jusqu’au Hi-Res 24-bit/192 kHz, sans MQA, sans artifices, avec un positionnement clair: la qualité prime. Sur un bon casque ou un système hi-fi, les masters 24-bit rendent aux enregistrements leur dynamique et leur matière. C’est devenu la norme de mon écoute domestique. Deuxième évidence, l’éditorial. Là où d’autres sur-algorithmisent la découverte, Qobuz assume un magazine vivant, des sélections rédigées, des disques de la semaine, des panoramas d’artistes et des playlists par genres et scènes. Chaque vendredi, la page d’accueil met en avant les sorties du jour, tandis que la navigation par genres permet de trier rapidement “du plus récent au plus ancien”, “les plus acclamés”, ou par distinctions de la presse. Résultat, je balaie d’un coup d’œil toutes les nouveautés et je plonge dans la musique, style par style, sans me perdre.

Enfin, la question qui, pour moi, tranche concerne la rémunération. En mars 2025, Qobuz a publié ses chiffres: en 2024, la plateforme a versé en moyenne 0,01873 \$ par stream aux ayants droit. Des analyses indépendantes la situaient déjà tout en haut du marché, loin devant Spotify en paiement moyen par écoute. Les structures de contrats varient et rien n’est parfait, mais si je peux envoyer un signal (avec mon abonnement) en faveur d’un partage de valeur plus vertueux, je le fais.

Migrer n’a pas été douloureux (Qobuz propose d’ailleurs un outils gratuit). Mes albums fétiches étaient disponibles en Hi-Res, l’application a gagné en fluidité ces deux dernières années, et la logique “par album” correspond mieux à ma manière d’écouter. Je perds quelques gadgets, c’est vrai, mais je gagne en plaisir d’écoute et en sérénité morale. Et chaque vendredi, je retrouve ce rituel simple: ouvrir Qobuz, afficher toutes les sorties du jour, trier par genre, picorer dans la rédaction, et choisir mes disques du week-end. Quitter Spotify n’est pas un manifeste, c’est un arbitrage. Mais à l’heure où la musique est trop souvent réduite à un “flux”, choisir une plateforme qui valorise l’album, soigne le son, éclaire les nouveautés et rémunère mieux la chaîne des ayants droit ressemble à un acte de fidélité envers ce qu’on aime. Pour moi, cet acte s’appelle Qobuz.

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