Quand les ondes gravitationnelles donnent raison à Stephen Hawking sur les trous noirs

En 1971, le regretté physicien britannique Stephen Hawking a formulé une prédiction d'une simplicité déconcertante mais aux implications profondes. La surface totale d'un trou noir ne peut jamais diminuer. Elle ne peut qu'augmenter ou rester stable. Ainsi, si deux d’entre eux fusionnent, le nouveau trou noir qui en résulte aura une surface plus grande que la somme des deux surfaces de départ.

Cette règle est aujourd'hui connue sous le nom de théorème de l'aire de Hawking. Plus de cinquante ans plus tard, l'analyse d'un signal d'ondes gravitationnelles capté en janvier dernier vient d'apporter la preuve observationnelle la plus solide à ce jour en faveur de ce théorème, comme le détaille une nouvelle publication dans la prestigieuse revue “Physical Review Letters”. Cette avancée scientifique coïncide merveilleusement avec le 10e anniversaire de la première détection historique d'une fusion de trous noirs par la collaboration LIGO, une découverte qui leur a valu le prix Nobel. Le cosmos semble avoir un sens du timing.

Une symphonie de détecteurs à l'écoute du cosmos

Pour « entendre » ces cataclysmes cosmiques, les scientifiques disposent d'un réseau d'observatoires extraordinairement sensibles. Connue sous le nom de LIGO/Virgo/KAGRA (LVK), cette collaboration internationale traque les ondes gravitationnelles, ces infimes ondulations de l'espace-temps produites par des événements aussi violents que la fusion de trous noirs ou d'étoiles à neutrons. La technique utilisée est l'interférométrie laser. En termes simples, des lasers de haute puissance mesurent en permanence la distance entre des miroirs suspendus à des kilomètres les uns des autres. Lorsqu'une onde gravitationnelle traverse la Terre, elle étire et comprime l'espace-temps de manière infime, modifiant cette distance d'une fraction du diamètre d'un proton. Les détecteurs LIGO aux États-Unis (à Hanford, Washington, et Livingston, Louisiane), Virgo en Italie et KAGRA au Japon travaillent de concert pour localiser la source de ces signaux. Un cinquième détecteur, LIGO-India, devrait les rejoindre après 2025, affinant encore notre vision gravitationnelle de l'Univers.

🌌 Révélation de l'événement cosmique GW250114: Collision de deux trous ...

Le défi est immense, car ces instruments sont si sensibles qu'ils captent aussi les moindres vibrations terrestres, comme le passage d'un train de marchandises à des kilomètres de là ou même les vibrations thermiques des atomes dans les détecteurs eux-mêmes. Le 14 septembre 2015, pour la première fois, les deux détecteurs LIGO ont capté un signal quasi simultané, un « chirp » caractéristique qui a signé la découverte du siècle. La preuve directe de la fusion de deux trous noirs. Cette prouesse a logiquement été récompensée par le prix Nobel de physique en 2017.

Du premier « gazouillis » à un chœur cosmique

Depuis cette première détection, le catalogue d'événements cosmiques n'a cessé de s'enrichir. Les scientifiques ont observé des fusions de deux étoiles à neutrons, mais aussi des fusions « mixtes » entre un trou noir et une étoile à neutrons. Ces dernières ont permis l'avènement de l'astronomie multi-messagers, où les ondes gravitationnelles (le « son ») et la lumière (comme les kilonovas, des éclats d'énergie colossaux) sont enregistrées ensemble, offrant une vision complète et sans précédent de ces événements. La collaboration a également détecté des fusions asymétriques, où un trou noir est bien plus massif que son partenaire, et a même découvert des objets qui remettent en question la frontière entre les étoiles à neutrons les plus massives et les trous noirs les plus légers. Chaque nouvelle détection est une pièce de plus au grand puzzle de l'Univers.

L'écho de la fusion: écouter un trou noir nouveau-né

La sensibilité des détecteurs a presque quadruplé depuis 2015. C'est grâce à cette amélioration que l'événement GW250114, détecté en janvier 2025, a pu être enregistré avec une netteté inégalée. Ce signal est le « jumeau » de celui de 2015, impliquant des trous noirs de masses similaires. Mais la fidélité du nouveau signal est bien supérieure. Lorsqu'un nouveau trou noir se forme après une fusion, il vibre comme une cloche que l'on vient de frapper. Cette phase, appelée « ringdown » (ou résonance finale), émet des ondes gravitationnelles à des fréquences spécifiques, des sortes d'harmoniques ou de « tons ». L'analyse de ces derniers permet de calculer les propriétés du trou noir final, comme sa masse et sa rotation. Grâce à la clarté de GW250114, les chercheurs ont pu les isoler avec une précision inédite. Leurs observations confirment un autre théorème fondamental, celui de la « non-chevelure » (no-hair theorem), qui stipule qu'un trou noir est un objet incroyablement simple, entièrement décrit par seulement trois paramètres: sa masse, sa rotation et sa charge électrique.

Le verdict: de la taille du Royaume-Uni à celle de la Suède

Mais la véritable percée concerne le théorème de l'aire de Hawking. L'analyse détaillée de GW250114 a permis de mesurer la surface des deux trous noirs initiaux avant leur fusion. Leur aire combinée était d'environ 240 000 kilomètres carrés, soit à peu près la superficie du Royaume-Uni. Après leur fusion, le nouveau trou noir unique présentait une surface d'environ 400 000 kilomètres carrés, soit la taille de la Suède. L'aire a bien augmenté, et ce de manière importante, confirmant la prédiction de Hawking avec une certitude de 95 %.

En effet, Hawking et Jacob Bekenstein ont plus tard montré que l'aire d'un trou noir est proportionnelle à son entropie, une mesure du désordre qui, selon la deuxième loi de la thermodynamique, doit elle aussi toujours augmenter. Cette connexion est l'un des indices les plus profonds que nous ayons. Un pont entre la relativité générale d'Einstein, la mécanique quantique et une étape décisive dans la quête d'une théorie de la gravité quantique. Une fois de plus, l'écho de l'Univers nous a murmuré les secrets de ses lois les plus fondamentales.

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